samedi 7 novembre 2009

Le sage...

"... "Voyez cette tortue comme elle est intelligente! s'exclamèrent-ils. Elle se fait transporter par deux hérons!"
Pi-Houan se garda bien de répondre, mais tout en mordant le bâton avec énergie, elle savourait les compliments.
Ils survolaient maintenant une ville, avec ses temples, ses jardins, ses pagodes aux toits d'or, et les propos flatteurs, qui montaient vers elle, enivraient dame Pi-Houan comme un encens : "Est-ce la reine des tortues, avez-vous remarqué ce brillant équipage? Quelle façon intelligente de voyager!"
Les deux hérons poursuivaient leur vol régulier, mais la fatigue commençait d'engourdir leurs ailes. Ils avaient hâte de trouver une rivière, un lac paisible, près duquel se poser. Comme ils passaient au-dessus d'une prairie, des petits bergers les montrèrent du doigt. Dame Pi-Houan qui ne se lassait pas des compliments, tendit l'oreille:
"Regardez ces deux hérons, disait un jeune garçon, ils emmènent cette balourde de tortue, sans doute pour agrémenter leur repas du soir, comme ils sont intelligents!"
-Stupides bergers, vous n'y comprenez rien!" voulut s'écrier Pi-Houan.
Mais à peine avait-elle ouvert la bouche qu'elle lâchait le bâton et s'écrasait sur le sol, la carapace éclatée. Les deux hérons descendirent en vol plané ils s'arrachèrent une plume grise, une plume blanche de leurs ailes en signe de deuil; ils tournèrent un instant au-dessus de leur pauvre amie et disparurent bientôt au lointain.
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Le sage, dit le maître du Zen, accueille d'un coeur égal la flatterie ou le mépris. Il est semblable à la flamme d'une bougie, qui monte droite et claire, et qui, au moindre souffle, ne faseye. Nul ne peut nous agresser moralement sans notre consentement, c'est nous qui ouvrons les écluses au chagrin. Aucune injure ne pouvait faire lâcher prise à la tortue. L'insulte, le mépris, l'anathème représentent l'opinion de celui qui les profère, c'est son problème, pas le nôtre. Il se peut au demeurant que le blâme soit justifié, nous l'acceptons comme tel. Qui est parfait? Il se peut qu'il soit erroné, partial, injuste, nous le laissons dans la bouche de celui qui l'a prononcé. Notre paix, notre destin sont entre nos mains. "Entre nos dents", bougonne le fantôme de la tortue.
... "

Extrait de "La tortue et les deux hérons" , un des contes de "Contes zen" de Henri Brunel.







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